Quand j'aime...
... contrairement à l'adage, je compte. Les heures, les jours qui me séparent de l'objet de mon inclination. Je ne conçoit l'amour que dans le manque (merci papa!). Je goûte la délicieuse torture de l'attente. Je prolonge volontairement les exils, comme une petite auto-mutilation perverse. Je suis une fervente adepte de la long distance relationship, de l'amour au téléphone. Je fantasme sur les retrouvailles aux aéroports, chabadabada, ils courent dans les bras l'un de l'autre et repartent chacun à leur bout de l'océan dès que le coeur bat moins vite. Le quotidien m'emmerde et le partage prolongé de l'intimité me terrifie. Je ne sais même pas ce qui me plait le plus du manque ou de son comble. J'aime redécouvrir à chaque fois le corps de mon amant, le penser nouveau alors même qu'il m'est familier.
Quand j'aime, je m'oublie un peu. Je mets au ralenti ma machine à besoins ; je vis par procuration. Rien ne me donne plus de plaisir que celui de mon amant. Son désir commande au mien. Rien d'altruiste là-dedans ; c'est juste que j'aime marcher dans les pas de quelqu'un. C'est très reposant de ne pas interrompre son ascension pour réfléchir au meilleur moyen d'atteindre le sommet ; on peut se laisser guider et suivre dolemment le mouvement.
Quand j'aime, je suis toute nue. Naïve, crédule, presque infantile et surement sans défense. Parce quand j'aime, j'aime pur, je suis aveugle et sourde et n'envisage pas que mon partenaire puisse être différent. Je crois en lui, je crois en nous, jusqu'à preuve flagrante du contraire.
Quand j'aime, j'aime beaucoup. Tout est amplifié, outré, exagéré, comme observé à la loupe. Je suis incapable de tiédeur ; je hais la demi-mesure.
Quand je cesse d'aimer, c'est d'un seul coup. Fini, envolé, disparu le bel amour, au revoir Monsieur et passons à autre chose.
Quand je n'aime plus, je dois lutter contre le vide, dont ma nature a horreur, et lui préfère la colère, dont je remplis mon âme selon le principe des vases communicants.
Mais quand j'aime, je ne le dis pas, Rainette. Je le regarde, je le souris, je le transpire, mais je le tais. J'ai pour principe fondamental de juger mon prochain à ses actes et jamais à ses paroles. Alors quand j'aime, je m'attache à le prouver au quotidien et je la boucle. Je déteste l'exigeance de réciproque qu'implique "je t'aime". Ce n'est jamais gratuit. Le seul à m'avoir entendu le dire, c'est mon fils. Je le lui murmure au creux de l'oreille, comme une berceuse, quand il s'endort dans mes bras, parce que mon amour me déborde des lèvres.
Des bises
Marie