Après la mort
Hier soir, j'étais invitée à dîner chez Paul et Nanon, mes amis modèle grande bourgeoisie. Bien sûr, j'ai commencé par faire ma Marie : arrivée échevelée avec 20 minutes de retard, dérapage incontrôlé sur le carrelage de l'entrée, renversage de vase Lalique et rattrapage in-extremis d'une rose sur 21. Au salon, 7 paires d'yeux condescendants me font sentir que peut-être bien que je me suis trompé d'étage.
A l'apéritif, mon mauvais pressentiment se confirme. Les voisins de mes hôtes sont également invités : Madame, catéchumène élégante, a les ongles carmin et Monsieur, investisseur judicieux, porte des chaussettes en fil d'écosse dans ses Westons. Un centenaire a eux deux, ils orientent la conversation sur la convention obsèques à laquelle ils viennent de souscrire. "Vous comprenez, dis Madame, je n'ai pas envie que mes enfants partent en vacances aux caraïbes avec l'argent de notre caveau !" Devant mon air ahuri, Monsieur m'explique que dans ladite convention, ils ont tout prévu, tout réglé, tout commandé, de la couleur des couronnes de fleurs au requiem de Mozart. Comme je m'étouffe dans mon Martini, Madame me demande ce que j'ai prévu pour quand j'irai rejoindre le grand esprit de la plaine. Je suis un peu mal à l'aise, je me tortille sur mon fauteuil Louis XXXII. "Beuh..., dis-je, ch'ais pô trop, heu... en fait, je crois que ça ne me dérangerait pas que le Nathasamère puisse se payer un beau voyage et s'éclater sous les tropiques avec les sous que je lui laisserai (ndlr : il y a tout de même de fortes chances pour qu'il n'ait même pas de quoi aller jusque dans le sud de l'Oise). Vous qui allez à la messe plus souvent que moi devez savoir que ce qui vous garantit un repos éternel, c'est le bien qu'on fait avant de mourir, plutôt que la qualité du bois dans lequel on va pourrir, non ?"
Je me suis fait traiter de gauchiste. Moi, j'vois pas le rapport.
Des bises interloquées
Marie la Rouge